Une balade égyptienne à Paris
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« Dans la pierre de Paris est gravé le sceau de l’Égypte comme si cette ombre superbe, radieuse, habitait le subconscient collectif de la capitale française ». Un jour, alors que je consultais un ouvrage de la bibliothèque Forney, au cœur du Marais, cette citation de Béatrice de Andia, déléguée à l’action artistique de la Ville de Paris, a attiré ma curiosité. Il est vrai que l’Égypte et la France entretiennent depuis longtemps une relation étroite : dès le XVIe siècle, des missions scientifiques répertorient les savoirs issus de l’ancienne terre des pharaons et l’expédition d’Égypte, menée par le général Bonaparte de 1798 à 1801, a largement répandu cette passion pour l’art égyptien. Aucun parisien n’est surpris de croiser un des obélisques de Louxor sur la place de la Concorde et la pyramide du Louvre s’est merveilleusement intégrée au paysage urbain ; mais hormis ces deux monuments, je me demandais quelles pouvaient être les autres traces de cet engouement des Parisiens pour l’Égypte. Armée de mes quelques notes prises sur divers ouvrages et de mon appareil photo, je décidais alors de partir à la découverte de l’Égypte parisienne.
Mes premiers pas me mènent au centre de Paris : en sortant du métro sur la place du Châtelet, je me retrouve presque immédiatement devant une imposante fontaine surmontée d’une colonne. Quatre grands sphinx crachent des jets d’eau dans le bassin ; ils sont coiffés du némès, cette coiffe royale à deux pans surmontée de l’uraeus, le cobra dressé. Sur la colonne, l’aigle sculpté renvoie au règne de Napoléon Ier.
En suivant à pied le cours de la Seine, j’arrive assez vite au Musée du Louvre. La pyramide en verre, au centre de la cour Napoléon, est toujours appréciée des touristes qui se massent autour d’elle. Elle est accompagnée de trois petites pyramides qui servent de puits de lumière au Musée ; une dernière pyramide, inversée, se cache sous le Carrousel du Louvre. En passant sous les arcades, je pénètre dans la Cour Carrée, entourée de chaque côté des galeries du Musée abritant les collections. En m’attardant sur la façade Ouest de la Cour Carrée, je remarque alors un curieux personnage : coincée entre un pilastre et une fenêtre, une figure féminine assise sur un trône tient de la main droite un sistre, cet instrument égyptien composé d’un manche de bois et d’anneaux métalliques qui s’entrechoquent lorsqu’on les secoue. Sur son épaule est posé un oiseau et sur sa tête, un disque solaire entouré des cornes de vache. Malgré l’étrangeté de son costume, je l’assimile immédiatement à la déesse Isis, la sœur-épouse d’Osiris et mère du dieu faucon Horus. Grande magicienne, elle assure un rôle protecteur auprès des défunts ; elle a même été, pendant trois années, représentée à la proue du navire des armoiries parisiennes !
Isis n’est pas la seule référence égyptienne de la Cour Carrée : toujours sur la façade Ouest, c’est une personnification du Nil, ce fleuve sacré en Égypte, qui semble m’observer, adossé à une pyramide et le pied posé sur la tête d’un crocodile. Sa main gauche repose sur un récipient d’où coule une eau abondante.
En longeant la Cour, je contemple les nombreuses statues qui habitent les niches creusées dans les murs ; hommes et femmes sont habillés à l’antique, mais une figure m’accroche davantage : Cléopâtre, la main sur un panier de fruits et un aspic enroulé autour du poignet droit, toise les passants avec sévérité. Elle est bien loin de l’image que je me faisais de Cléopâtre : sa carrure est presque masculine, son visage renfrogné ; peut-être l’artiste a-t-il voulu représenter le courage et la forte volonté d’une Cléopâtre proche du suicide. Toujours est-il qu’elle provoque moins d’empathie que la sculpture de Cléopâtre mourant de François Barois, qui est conservée quelques mètres en dessous du sol, au sein du musée ! Face à Cléopâtre, sur la façade Est de la Cour Carrée, une personnification de l’Archéologie égyptienne, par Horace Daillion, est reconnaissable à la statuette de pharaon qu’elle tient dans la main gauche.
Je décide alors de me diriger vers la place de la Concorde, en traversant les Tuileries. Alors que je le parcours régulièrement, je n’avais jamais pris garde aux sphinx qui en gardaient les entrées ou qui étaient postés près des bassins.
En arrivant devant le grand bassin, du côté de la place de la Concorde, le dieu Nil refait, une fois encore, son apparition, sous les traits d’un vieil homme adossé à un petit sphinx. En sortant du jardin, la place de la Concorde et son obélisque font toujours belle impression !
En continuant en direction des Champs-Elysées, j’arrive au Grand Palais : derrière les colonnades, j’aperçois tout un groupe d’Égyptiens en plein labeur, représentés sur une longue mosaïque. Il s’agit de la fresque de L’Art à travers les siècles ; elle est cependant peu réaliste, car personne n’imaginerait de hauts dignitaires égyptiens (coiffés du némès) tirer de lourdes charges pour construire une pyramide ! Entre deux colonnes, une statue de femme dénudée est assise sur une tête sculptée de pharaon et tient entre ses mains une représentation du dieu Osiris.
Maintenant, à moins d’être un bon marcheur, mieux vaut prendre le métro ; la ligne 2 vous emmènera directement à la prochaine étape, le Louxor. Il ne s’agit pas d’un temple égyptien, mais bel et bien d’un cinéma, entièrement restauré depuis 2013. Sur la façade alternent des têtes de pharaon, la déesse lionne Sekhmet, des disques ailés ou encore des papyrus… N’hésitez pas à pousser la porte pour admirer les bas-reliefs au-dessus des guichets !
Prenant maintenant la ligne 4, je descends à Strasbourg Saint-Denis ; en remontant la rue d’Aboukir (encore une nouvelle référence à l’Égypte), me voilà sur la place du Caire. Au-dessus d’un passage couvert – le passage du Caire –, je découvre un immeuble tout à fait étonnant dont je n’avais jamais entendu parler. Décoré d’une frise gravée de pseudo-hiéroglyphes, ce sont les trois gigantesques têtes d’Hathor (la déesse vache) qui amusent les passants. Si vous levez la tête, la frise la plus haute représente un personnage au nez proéminent : aucun rapport avec l’Égypte ici, ce n’est qu’une caricature de l’artiste.
À partir d’ici, plusieurs solutions s’offrent à vous : le parc Monceau, à l’Ouest, abrite une petite pyramide entre autres ruines reconstituées. Ancienne fabrique de jardin, sa finalité est avant tout de surprendre le visiteur… Certains racontent qu’à l’intérieur de la pyramide est entreposée une sculpture noire d’Isis : difficile de vérifier par les minces ouvertures de la paroi ! Si vous rêvez de pyramides, un détour par le cimetière du Père-Lachaise s’impose ; outre la tombe de Champollion – reconnaissable grâce à un obélisque –, les dernières demeures de forme pyramidale se comptent par dizaines et matérialisent les croyances des individus en une vie après la mort. Mais ne vous y trompez pas : bien que les pyramides renvoient à l’époque pharaonique, nombreuses sont celles qui s’inspirent d’un modèle postérieur. Les Romains bâtissaient déjà des tombeaux de forme pyramidale et leurs connaissances erronées de l’architecture égyptienne ont abouti à des constructions beaucoup plus étroites. C’est le cas des pyramides du Père-Lachaise, mais également de celle du parc Monceau.
Mon périple s’achève rue de Sèvres, qui traverse les 6e, 7e et 15e arrondissements. C’est le numéro 42, dans le 6e arrondissement, qui sera mon dernier arrêt. Adossée au mur extérieur de l’hôpital Laënnec (ancien hospice des Incurables), une porte de temple égyptien est habitée par une curieuse statue coiffée du némès et d’un pagne à trois pans. Cette œuvre représente Antinoüs, le favori de l’empereur Hadrien, qui perdit tragiquement la vie durant l’automne en 130 apr. J.-C. en se noyant dans le Nil. Divinisé par l’empereur, Antinoüs prend parfois la forme du dieu Osiris, qui meurt et renaît. Il tient entre ses poings serrés deux cruches d’eau qui se déversent dans un bassin. La fontaine du Fellah, appelée aussi parfois « fontaine égyptienne » ou encore « fontaine du porteur d’eau » a été construite au début du XIXe siècle et elle est aujourd’hui encore largement méconnue. On lit parfois qu’un autre Antinoüs se cacherait dans une cour privée, non loin de l’Institut d’histoire de l’art et d’archéologie Michelet, dans le 6e arrondissement : je n’ai encore jamais pu vérifier cette hypothèse !
Cécile Petit, septembre 2016.
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